Mic-Mac

Mic & Ma'c

Jeudi 24 octobre 2013 à 20:43

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Interview de Gilles Snowcat réalisée à la fin de l'an de grâce 2012



Pourquoi avoir choisi "Snowcat" précisément ?

Parce que je suis un chat. Je n’ai pas vraiment choisi de nom, j’ai juste choisi de ne pas en changer.

 

Peux-tu nous parler de tes premiers coups de cœur artistiques ? Quel est ton parcours musical ?

Il y a tant d’artistes qui me fascinent et dont je suis le disciple invisible –car ils ne le savent pas-, que te dresser une liste ne serait qu’un ennuyeux name-dropping.

Mon parcours musical doit ressembler à un chemin nihiliste aux nombreuses déviations hédonistes, longeant une route, la touchant parfois, s’en méfiant toujours. Je préfère rester un petit dans la cour des grands, plutôt qu’un grand dans la cour des petits.

 

Tu es claviériste avant tout. Quels sont tes modèles favoris ? Es-tu du genre à différencier de manière catégorique un orgue Hammond B3, un Elka Rhapsody, un DX-7 de Yamaha et le dernier modèle de chez Korg ?

Je ne suis pas claviériste au sens propre du terme, même si j’ai une affinité particulière avec ces instruments.

La présence d’une machine particulière dans un enregistrement tient parfois autant de stratégies, d’un attachement sentimental ou de recherches hasardeuses que du son lui-même. Parfois la chanson s’adapte à l’instrument, parfois elle le choisit.

Dans un mix, de toute façon, c’est l’interaction avec les autres instruments qui compte. Si tu as déjà deux guitares disto, une basse fuzz, un chant suraigu, des percussions, cinq choristes, des cuivres et des cordes, que l’onde sinus de ton clavier vienne d’un DX-7 ou d’un Casiotone ne changera plus grand-chose au résultat final.

C’est une des raisons pour lesquelles je ne m’intéresse pas aux nouveautés. Le jour où un synthé apportera au monde musical autant que le DX-7, le Mellotron, le MiniMoog ou autre Fairlight ont pu le faire, j’y jetterai une oreille avec plaisir. En attendant je m’en fous.

Je suis toujours atterré de voir tous ces musiciens se ruer sur les claviers Nord dernier cri, tu sais ce truc rouge, juste pour avoir exactement le même son qu’avec ce qu’ils utilisaient auparavant. Même son ou même absence de son, d’ailleurs.

 

Et au niveau du chant ? Là aussi on est plutôt dans le domaine atypique !

Je vais me permettre de te répondre par une citation de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ».

Mon idée de départ était pourtant de ne pas chanter. J’y ai été presque forcé néanmoins, certaines de mes chansons rebutaient dramatiquement les chanteuses et chanteurs qui se risquaient à collaborer avec moi. Pendant des années, je me suis battu avec la mélodie, ce qui donnait des résultats plutôt hasardeux, jusqu’à ce que j’arrive enfin à faire corps avec elle. Je suppose que ma voix et la mélodie ont trouvé une sorte de gentleman’s agreement.

 

Comment expliques-tu le choix du nom Awaken ?

Je devais être dans une humeur de plagiat, j’ai trouvé qu’une chanson de Yes avait un joli titre.

 

Il ne s'agit pas que d'un joli titre, mais l'une des pièces favorites des fans de Yes qui tiennent à s'écarter un peu des sentiers battus. Est-ce que cela se rapproche de ta volonté d'en faire autant, ne pas citer uniquement les tubes, ne pas t'accrocher à l'idée d'un soi-disant "âge d'or" d'un groupe imposé par une certaine part de ses aficionados ?

L’attachement à un soi-disant ‘âge d’or’ tient soit d’une nostalgie sincère de fans ayant vécu cette époque pour de vrai, soit d’une affligeante paresse qui les fait penser de manière confortable, pour suivre leur mentor Panurge, représenté ici par les médias et les musiciens, même si je comprends un peu plus l’attachement à une ‘grande époque’ de leur part, puisqu’ils y ont souvent vécu quelque chose de très fort. Mais les fans sont souvent plus snobs que sincères. Quoique tu pourras me trouver snob en donnant l’impression de ne m’intéresser qu’à des enregistrements obscurs, non ?


 
A quel point un Belge en arrive t-il à devenir féru d'Extrême-Orient ?

Probablement un concours de circonstances. La vie est un jeu de domino, tout y arrive de fil en aiguille, tout est la conséquence de quelque chose d’autre. Mais les raisons exactes finissent par se perdre dans la lueur de la nuit. Ce que je peux être poète à mes heures, n’est-ce pas ?


 
La lueur de la nuit et la poésie te sont d'ailleurs majoritairement insufflées par tes allées et venues dans les rues d'une petite ville de l'île de Kyushu, au Japon...

Je crois qu’on cherche tous sa Hauptstraße 155, quel que soit le continent. Cet endroit dans lequel on peut dire sans arrogance : « mes nuits sont plus belles que vos jours ».


 
Ta démarche de création prend un certain temps à ce que je sais. Peux-tu résumer en quelques mots le cheminement ainsi que le message (si toutefois il y en a un) que tu as envie de faire passer par tes disques, en textes et en musiques ?

Il n’y a pas de message au sens habituel du terme, juste une dimension hédoniste dans ma musique, dans le processus créatif et dans le résultat, qui mêle le fun le plus décomplexé, le plus basique, le moins soumis aux règles, et ce qu’on appelle le ‘meaningful’ en anglais, qui se traduit mal en français. Avec une grosse dose de nihilisme, je suppose.


 
La production des disques représente tout un concept à elle-même. Est-ce une envie de te démarquer du côté propre et perfectionniste qui sévit dans l'univers musical depuis que l'industrie s'en est mêlée ?

S’il n’est ni maladif ni paralysant, le perfectionnisme ne me dérange pas, surtout quand il mène à des résultats aussi exceptionnels que, par exemple, une production de Quincy Jones.

Ce qui m’ennuie, c’est l’insipidité, ce play-safe qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le souci de la perfection. L’art –et le rock en particulier- est une sorte de no man’s land dans lequel tout est permis –dans les limites du respect de la vie bien sûr-, y compris et surtout briser les règles. J’aime l’attitude punk, le doigt d’honneur fait aux conventions tout en ne les détruisant pas. C’est sain et ça reste assez pacifique en fin de compte. C’est une révolution qui laisse toujours le choix. Que le mouvement punk ait dit « fuck off Genesis » n’a tué personne, il a au contraire permis aux mélomanes d’écouter The Clash et Genesis en même temps, d’enrichir leur culture musicale.


 
Et ces musiciens, membres du groupe ou extérieurs qui te soutiennent, comment les choisis-tu ?

Si une petite voix me dit « celui-là » ou « celle-là », je tente le coup. Quelle qu’en soit la raison primaire. Parfois le courant passe, parfois pas.


 
Il y en a malgré tout certains qui, en parlant de courant, ont fait naître des générateurs d'énergie durable, comme les membres de Sousbock qui sont loin de chez toi, ou les Narcotic Daffodils dont ce n'est au contraire pas le cas. Préfères-tu travailler "in Real Life" ou par Internet ?

Je ne travaille pas par internet, je ne me sers de cet outil que pour accélérer l’envoi de pistes. Que je reçoive une piste via la voie numérique ou des bandes par la poste ne change pas grand-chose, sinon que c’est plus rapide par le réseau. Ce qui change par contre, c’est qu’une bande est impersonnelle et m’incitera plus facilement à y faire du travail expérimental, à jouer à l’apprenti-Eno, alors que si un musicien a enregistré en ma présence, avec quelques verres pour se détendre, je serai plus enclin à conserver ce qu’il a fait tel quel, presque comme un témoignage live. Je ne sais pas ce que je préfère, ce sont deux méthodes tellement différentes et complémentaires que je suis heureux quand je peux les combiner. Maintenant à choisir, je préfèrerais des musiciens physiquement présents, au moins je peux leur piquer des plans plus facilement.


 
Tes albums avec Awaken sont des LPs remplis à ras-bord. Est-ce, en dehors de ton inspiration du moment et comme dans le milieu rap, une manière d'aider l'auditeur à patienter jusqu'au prochain opus (en plus des singles et EPs), sachant que le dernier en date remonte à 2001 ?

Non, c’est juste parce que je pense que les chansons en question doivent y figurer. Tout comme certains disques sont des EP’s de 20 minutes parce que c’est bien ainsi. C’est amusant de voir que j’utilise assez peu mon format préféré, qui est un album de 40 minutes, durée imposée par le vinyle. Seul « Moko-Moko Collection » s’en rapproche.



Quand as-tu décidé de te lancer dans une carrière solo ?

Avec le développement incontrôlable et exponentiel de mon narcissisme. Il y a un moment où les choses ont bifurqué, il est devenu évident que certains enregistrements seraient d’Awaken et d’autres de Snowcat, quels que soient les musiciens y participant. Mais ça n’a qu’une importance très relative, non ?



Tu qualifies ton dernier album solo, Moko-Moko Collection (paru début 2012), de projet musical "art-rock". Peux-tu nous dire pourquoi ?

Le terme « art-rock » est un amusant pléonasme, le rock étant par définition de l’art. Mais dans certains cas, le processus de création musicale est bien plus vaste qu’une simple accumulation de notes de musique qui doivent bien sonner, c’est une vision artistique qui englobe des paramètres extra-musicaux, qui pourtant influencent directement la musique. Ce sont des stratégies ou des corrélations avec des visuels, ou toute autre forme d’art. Tout ce qui nous entoure comporte une part d’art, c’est au musicien de la traduire en musique. On peut aussi ajouter que je fais de l’artisanat. Parce que le processus de création reste purement artistique, le côté business ne vient qu’une fois le produit fini entre les mains. Ça va à l’encontre des principes castrateurs du business lèche-bottes qui tend à vouloir plaire à tout prix, à s’abaisser à devenir esclave d’un public qui pourtant aurait bien besoin d’être un peu secoué.

L’art doit rester une dictature de l’artiste sur son public. C’est l’artiste qui décide, ensuite le public accepte ou rejette. Mais dès qu’on se met à faire des concessions dans le seul but de ne pas choquer, on est foutu.



Cet album figure effectivement parmi ce que l'on peut recommander de mieux en termes d'œuvre peaufinée mais qui se soucie peu de déranger. On y croise beaucoup d'influences reggae, de chœurs asiatiques, de bidouillages électroniques et même un morceau punk. Le tout sonnant à la fois pro et "fait maison" ! C'est très étonnant, surtout quand on sait que le cœur de l'album en constitue le clou, avec un "Rites of the Circling Food" particulièrement impressionnant. Cet album, pour sonner aussi abouti et élégant, représente t-il quelque chose de particulier pour toi ?

Il représente beaucoup, mais chaque album ou EP ou single représente quelque chose. Après tout si j’amène une chanson jusqu’au stade de l’enregistrement et de l’officialisation, c’est qu’elle en vaut la peine, qu’elle a la carrure pour devenir locomotive et tirer vers le haut mon répertoire plus ancien. Ce qui ne représente rien ne va jamais plus loin que la poubelle. « Moko-moko Collection » est ce plaisir que tu as à aller pisser sur les murs de ton lycée à minuit, quand tu es dégagé de toute contrainte, que l’autorité n’a aucune prise sur toi, quand ta simple présence est un doigt d’honneur, quand tu es dans un no man’s land et que tout t’y est permis. « Moko-moko Collection » c’est d’une main faire un doigt d’honneur à cette imbécile paresse d’esprit de la société des smartphones, et de l’autre un doux massage à ta dulcinée derrière un rideau de velours. « Moko-moko Collection » c’est un breuvage qui empoisonne les abrutis mais se transforme en liqueur divine pour qui sait ouvrir ses oreilles. C’est à la fois un crachat et un orgasme.



Peut-on à présent espérer un Moko-Moko Collection II, ou un Party in Lyceum's Toilets 2.0 ?

Jamais ! Chaque enregistrement étant la suite du précédent, ce serait un non-sens total d’en considérer un comme une suite plus valide qu’un autre, au point de réutiliser un ancien titre en l’affublant d’un « numéro 2 » réducteur.



Quels moments musicaux retiens-tu en priorité dans ta carrière ?

Les moments de choc. Ce sont les moments de création inattendue qui sont les plus intéressants. Ceux qui mènent à une envie de composer, ces moments de déséquilibre qu’on tend à renverser en créant une musique.



Quelle est ton opinion sur l'évolution des musiques dites "actuelles" ?

Les artistes qui ont de la bouteille sortent toujours des disques supérieurs à la moyenne, mais les jeunes me désespèrent. On nage dans le culte du safe, une totale absence d’audace, peu de mélodies, des suites harmoniques sans intérêt et formatées, une interprétation timorée, une production lisse... Du vide, du vide, du vide. Fuck it !!!!

Heureusement il y a toujours l’une ou l’autre personnalité qui se démarque, comme Lily Allen ou même Maroon Five, mais ça reste minoritaire hors du circuit underground.

Dans les années 90, il y avait Take That qui pissait un peu plus loin que le commun des boys bands, et actuellement Muse pourrait être un bon groupe s’ils n’étaient pas aussi tâcherons live, à refaire note-pour-note sur scène ce qu’ils ont enregistré en studio. Le rock c’est aussi oser l’improvisation, bordel ! C’est pouvoir commencer un morceau sans savoir quand ni comment le terminer…

On dit parfois que l’époque est trop permissive pour qu’un mouvement réellement rock puisse se développer, mais si on regarde de plus près, ce qu’on a gagné en liberté d’un côté, on l’a perdu de l’autre. Par exemple tout le monde peut parler de cul à toute heure de la journée sans choquer grand monde, mais paradoxalement toute tentative de séduction est punissable comme harcèlement ! Va-t-en comprendre… La société garde son quota de tabous qui pourrait nourrir la hargne de vrais rockers s’ils se donnaient la peine de brancher leur guitare au lieu de perdre leur temps sur leur stupide smartphone pour envoyer des messages insipides sur ces foutus réseaux sociaux de merde…



Qui soutiens-tu de préférence ?

Parmi les artistes actuels estampillés underground, il y a Trust No One et Sousbock qui ont quelque chose d’intéressant à exprimer, d’ailleurs je les corromps de temps en temps pour qu’ils ajoutent leur patte à mes humbles productions, et j’aime particulièrement ce que fait Haraa. Il a ce qu’il faut d’audace et de grain de folie pour envoyer chier ce système aseptisé.



Les chats des neiges font-ils exprès de délaisser Bastet pour Bankstate ? Car tout le monde sait que le félin est rusé, que Bastet a fait basket avec bol, et que Bankstate ment. Que dirait Baskerville de tout cela ?

Wouf wouf. Ce qui signifie : « tous les pays Basques sont égaux, mais certains sont plus indépendants que d’autres. »



Peux-tu d'ailleurs nous parler des eaux de Lethe ?

Elles sont pleines de cadavres de gnomes priapiques et d’asperges mal cuites, ayant les pieds prisonniers d’un seau de ciment à prise rapide. On y trouve aussi quelques déchets, comme ce Synclavier qui arbore honteusement un autocollant « Défectueux. Renvoi usine », ou des bandes de Mellotron sauvagement arrachées par un utilisateur irascible, hurlant à l’adresse de son instrument : « Va te faire watcher dans le sky sans vaseline ».



Quelque chose à dire aux amateurs de Bénabar, de Christophe Dechavanne et de SUV à frein de parking électrique ?

Oui. Je voudrais leur rappeler que le dernier album de One Direction est sorti. Mais ils l’ont certainement déjà acheté.


Site officiel d'Awaken et Gilles Snowcat

Ecouter des extraits de l'album Moko-Moko Collection



Par Ma'c

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