Mic-Mac

Mic & Ma'c

Samedi 26 octobre 2013 à 16:09

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Le contexte, parce qu'on aime bien les histoires, que l'on soit enfant ou adulte, puriste de la musique traditionnelle ou non, artiste rêveur ou énarque... et dans ce dernier cas, on n'est pas moins enclin à en raconter que les autres :

Café du Bon Coin s'impose comme le premier album des années 80 dans la carrière des Tri Yann, dont le nom est pour rappel, relatif au fait que ses trois membres fondateurs (et omniprésents) portent chacun le prénom Jean : Jean Chocun, Jean-Paul Corbineau et Jean-Louis Jossic. Tri Yann, trois Jean en brezhoneg/breton. Pour retranscrire brièvement leur histoire commune, ce qui nous est présenté dès leur patronyme comme un collectif de trois membres se voit rapidement amené au nombre de quatre (en comptant Bernard Baudriller, contrebassiste de son état, mais pas que) et les musiciens s'inscrivent en fier Nantais dans le gyron du revival folk celtique breton survenu au début des années 70. Trois albums d'abord purement folk, auxquels succèdera une seconde trilogie d'oeuvres plus rock à la fin de la décennie. Durant les années 80 et pendant une quinzaine d'années, la formation hors trio de tête change de forme (le bassiste Bernard Baudriller s'en va en 1985, le batteur Gérard Goron arrivé en 1976 demeure, le guitariste Jean-Luc Chevalier -ex membre de Magma- arrive en 1991) et ne publie des albums que tous les quatre ou cinq ans. Mais ceux-ci figurent comme les plus étonnants de cette carrière, souvent conceptuels à l'image de l'opéra folk-rock Le Vaisseau de Pierre en 1988 et qui se révèle être un gouffre commercial, le groupe mettant plusieurs années à remonter la pente. Il y arrivera définitivement en 1999, date où il s'adjoint les services du sonneur Konan Mevel, du claviériste Freddy Bourgeois et du violoniste-bassiste Christophe Peloil, développant et stabilisant ainsi le collectif originellement de trois cette fois au nombre de huit (les trois Jean, Goron, Chevalier, Mevel, Bourgeois et Peloil).

Pour l'heure, revenons en 1983. Tri Yann regroupe alors les trois Jean, Bernard Baudriller, le batteur Gérard Goron ainsi que le guitariste Christian Vignoles. Cet album, Café du Bon Coin est donc le premier des années 80, non pas en termes de chronologie stricte, mais d'esthétique musicale. L'échec commercial du disque précédent sorti en 1981, An Heol a Zo Glaz/Le Soleil Est Vert (qui compte de l'avis général parmi leurs plus grandes réussites et est devenu indisponible à la vente au fil des années, ce qui est encore plus regrettable) amène le groupe à changer de formule et à s'adapter à ce qui est alors considéré comme un retour de mode à l'encontre des musiques celtiques. La fièvre du début des années 70, répandue à échelle internationale, a laissé place à la plus grande indifférence de la part du public en ce début des années 80, sauf en Amérique du Nord pour les plus célèbres. Ils sont loin d'être les seuls dans ce cas, mais comme pour Stivell, Servat et tant d'autres, on assiste en cette année 1983 à une profusion de disques made in Breizh fort étonnants (comme le Cola commercialisé depuis en terre d'Armorique, mais c'est une autre histoire).






Ce qui faisait la force de la première décennie du renouveau celtique était une conjugaison de tradition et de modernité, de chants et instruments traditionnels avec des guitares électriques et pour les plus hardis, des synthétiseurs (nom commun dérivé de l'anglais "synthesizer", qui n'est pas une marque de piles ; synonyme du latin "diabolus in musica" et antonyme de "bon goût", surtout du point de vue de nombreuses personnes qui en matière de musique, n'aiment que le rock, le vrai). Les Trois Jean prennent le parti d'étoffer leurs arrangements dès 1976. Urba offrait un son musclé en 1978 (une sorte de hard-rock progressif breton) et donc, An Heol a Zo Glaz, comme pour tant d'autres groupes et artistes tels les Beatles époque Abbey Road, Genesis millésimé Foxtrot, Mike Oldfield avec Tubular Bells et Alan Stivell sur Raok Dilestra, permet à Tri Yann d'exploiter le format vinyle d'une autre manière, rompant ainsi davantage avec l'esprit "collection de chansons" uniforme des premières décennies de ce support (jusqu'à la fin des années 60), et même si en ces années 80 mésestimées, celui-ci n'allait plus tarder à laisser sa place au Compact-Disc.

Avec Café du Bon Coin, le groupe se dégage d'une esthétique courante d'une période, pour permettre à la sienne propre (le folk-rock celtique) de coller avec une autre, celle des années 80. Parmi les passionnés de musique qui ont une certaine tendance à faire preuve de nostalgie (et croyez-moi, j'en connais !), rares sont ceux qui parviennent à digérer cette transition, souvent brutale certes, mais ne forçant pas pour autant à occulter les concessions du groupe lui-même, y compris dans la suite de sa carrière. Car en effet Café du Bon Coin, c'est le même "fond" que les albums précédents, mais avec une réalisation différente et de ce fait, des compositions qui s'adaptent. Une sorte d'échange perpétuel. Chaque album ou presque publié par le groupe depuis le début des années 80 et jusqu'à aujourd'hui prolonge d'une façon ou d'une autre le travail des Urba et consorts, tout en collant avec les possibilités technologiques améliorées au fur et à mesure que le temps passe, sans renier pour autant l'audace (pas plus que les chansons comme “Pelot d'Hennebont” ou “La Jument de Michao” fredonnées en toutes circonstances, que l'on joue avec sa guitare près du feu de camp ou que l'on aille acheter des piles), et encore moins la légèreté ni la profondeur qui elles aussi, constituent un équilibre indéfectible dans la personnalité du groupe.


 

L'analyse musicologique (qu'il vaut mieux ne pas lire si vous n'envisagez pas de passer votre médaille d'or au Conservatoire, et si pour vous la musique doit rester avant tout un plaisir *rires du public*) :

Café du Bon Coin est enregistré au début de l'été 1983 au Studio des Dames, à Paris, avec le concours des ingénieurs du son Jean-Yves Pouilloux et surtout Henri Lousteau, qui joue d'un peu de violon sur le disque et compte déjà à son palmarès de technicien les premiers albums de Ange, ainsi que le mythique Live à l'Olympia d'Alan Stivell pour rester dans la famille bretonne. Lousteau et Pouilloux proposent donc aux Tri Yann une nouvelle manière de faire sonner leur musique, même si l'investissement vient également des musiciens eux-mêmes, particulièrement du guitariste Christian Vignoles qui contribue aux synthétiseurs (en plus de Guy Battarel, également collaborateur d'Ange à la même époque, décidément...), et de Gérard Goron, qui a acquis une batterie électronique de marque Simmons, le pire cauchemar des défenseurs du rock, le vrai (plus encore que le synthétiseur, c'est possible oui Monsieur Cehef). D'ailleurs, si la musique de Tri Yann est toujours aussi orientée rock, elle gagne en éléments groovy, à grand renfort de funk typique de ces années-là. Un détail particulièrement flagrant sur "La Ville de la Rochelle", ainsi que la grande majorité des moments dansants du disque. Gérard Goron insuffle avec son nouveau jouet une rythmique encore plus tranchante, sur laquelle vient se greffer (pour la dernière fois en studio) la basse de Bernard Baudriller qui slape sans complexe, chose de plus en plus remarquable au fil des précédents albums. Entre force et inventivité, cette section rythmique peut aisément être considérée comme l'une des plus classieuses parmi les formations bretonnes de ces années-là.

Les autres membres ne sont pas en reste, avec un superbe travail de Jean Chocun et Christian Vignoles aux guitares -toujours plus volontairement électriques au fil du temps- et instruments à cordes en tous genres, dans la limite de ceux que l'on appuie sur une seule jambe et que l'on peut porter en bandoulière sans trop d'effort, dulcimer compris. N'oublions pas Jean-Paul Corbineau qui apporte toujours un soutien rythmique à la guitare acoustique, en plus de sa voix d'orfèvre. Une voix qui comme chacun le sait, se réserve les airs, gwerz/complaintes et autres chansons douces entre légèreté et mélancolie, qu'elle caresse de son timbre enchanteur. À l'inverse (et contrairement à un album comme Urba où on pouvait le voir s'essayer au même type de registre que Jean-Paul Corbineau, sur "Francez"), Jean-Louis Jossic préfère tel un lutin farceur les danses, et effets vocaux parfois proches du scat mais cuisinés "à la bretonne", entraînant les autres chanteurs du groupe à sa suite. Il se charge également de la majorité des instruments à vent : cromorne, chalémie et bombarde, tous à l'image de son caractère flamboyant.






Sans vouloir trop rentrer dans les détails, il convient de parler du style, des mélodies... L'habituelle alternance de tempos rapides et de morceaux lents, parfois sans rythme clairement définissable est ici augmentée par la décision du groupe de faire des clins d'oeil plus réguliers à l'Irlande, entremêlés à leurs influences bretonnes natales. Le milieu du disque surtout favorise cette alternance. Pas moins de quinze minutes sont dédiées à Turlough O'Carolan, le harpeur aveugle qui vécut en Irlande à la fin du XVIIème siècle, et grand copain d'Antonio Vivaldi, leurs échanges de l'époque se ressentant fortement dans un style de musique barocco-irlandais inédit ; un disque, appelé O'Stravaganza et entièrement consacré à cette ressemblance, voit le jour par l'initiative de Hughes de Courson, ancien Malicorne, à la fin des années 1990. Après un début marqué par la poésie fragile et contemplative de la musique de O'Carolan, la quatrième plage de Café du Bon Coin propose un medley formé d'une gavotte, puis d'une jig presque complètement fidèle à la tradition (violons, flûtes et percussions ; on croirait entendre un disque des Chieftains !) avant que ne reviennent les éléments funky-rock pour un final de plus en plus endiablé, développé en reel en accélérant comme c'est souvent le cas, de même que pour cette construction globale très courante pour une suite de danses irlandaises. Un peu plus loin, "Irish Coffee / Abigail Judge" préfère une continuité plus linéaire et mise davantage sur les emprunts directs à la musique baroque : on y entend le psaltérion, mais aussi un clavecin électronique qui autant que le violoncelle, tente de se distinguer de l'esprit profane habituel des Tri Yann. Le mode mélodique employé y est un mélange d'aéolien, gamme mineure naturelle aussi présente dans les musiques celtiques, et de la mineure harmonique qui nécessite une sensible, note qui déclenche une tension, et donc par ricochet appelle à un repos sonore. Un choix de composition imposé aux artisans de la musique baroque à l'époque de Vivaldi et O'Carolan (puis ensuite les classiques, etc...) et justement, pour rebondir sur l'argument précédent, dans le but de s'éloigner des modes anciens et des musiques traditionnelles. On peut donc parler si l'on se remet dans le contexte de l'époque, d'un mélange de sacré et de profane. Sachant que le fait d'ajouter des notes "colorantes" à une échelle mélodique prédéfinie, gamme ou mode, est également une caractéristique fondamentale du blues pour revenir à l'échelle moderne. Comme quoi, il y a toujours moyen de cultiver la différence tout en soutenant les rapprochements et de ne pas se snober mutuellement, pas qu'en musique ceci dit.

Mais l'empreinte de O'Carolan contient de toute évidence quelque chose de sacré autant que de féminin, les titres de ses compositions en sont souvent la preuve. On le ressent particulièrement avec les standards "Eleanor Plunkett", "Mrs McDermot" (déjà repris par Tri Yann sur La Découverte ou l'Ignorance) et bien entendu "Planxty Irwin", également réarrangé ici pour le morceau "Kalonkadour". Très folk au début, celui-ci voit son orchestration ponctuée d'effets de synthétiseurs, pour en arriver à ce final où la voix du ménestrel Jean-Paul Corbineau se perd dans la brume, dépeignant le lac de Kalonkadour dans sa quiétude et son enchantement retrouvés. Mais celle que les passionnés des Tri Yann retiennent le mieux dans l'ensemble de cet album, c'est "La Ville Que J'ai Tant Aimée". On est toujours en Irlande, mais dans un contexte plus contemporain puisqu'il s'agit de l'Irlande du Nord et de Phil Coulter, précisément une nouvelle reprise de l'un de ses standards personnels, "The Town I Loved So Well". Sauf que lui la chante en sol majeur ; les Dubliners l'ont aussi faite mais en si bémol majeur, et Tri Yann la transpose à son tour en la majeur. Mais majeur comme une gamme "sacrée" et non comme un mode typiquement celtique, à cause de cette fameuse note “sensible”. La chanson fait plus de six minutes à l'origine, mais les Tri Yann se sont contentés de la moitié et renforcent le côté classisant grâce aux nappes de synthétiseur.

En dehors de l'Irlande donc, la Bretagne est toujours aussi viscéralement représentée et n'a pas à rougir aux côtés de tels arrangements, la diversité y figurant comme point d'honneur. Les harmonies vocales sont davantage mises en valeur, dès le premier titre "Les Programmeurs", au riff de guitare caractéristique du folk-rock breton, appuyé par la mandoline et différents bruitages qui dynamisent le tout en supplément au tandem basse-batterie. Le duo cromorne-violon et les différentes variations rythmiques offrent une continuité aux élans "progressifs" du groupe, mais dans un format propre à la chanson, sans pour autant se faire désirer ardemment par les ondes FM. "La Ville de la Rochelle" n'y tient pas davantage, sans doute par rapport aux ruptures vocales. La gavotte "Aventurou Marian" en kan ha diskan (chant et déchant) va dans le même sens, grâce à un Jean-Louis Jossic ô combien facétieux et un emploi de synthétiseurs-accordéon que l'on retrouvera chez Capercaillie, le groupe emblême de l'Ecosse qui voit d'ailleurs le jour à cette même époque. Les voix "virilisantes" conduisent le tribal "Kan Peoc'h" (aux effets "assénés" de guitare acoustique que ne sauraient renier les Steeleye Span) ainsi que le décapant "Chanson à Boire", où un quatuor de cromornes/flûtes à bec est invité et où l'on revient aux gammes "sacrées" avec la mineure harmonique qui donc impose une dissonance (pour situer, dans le morceau, elle est sur le "-mon" de "poumon").




Mais là où les Tri Yann parviennent à surprendre le plus, c'est au coeur du disque et au moment du final. Premier morceau de l'ancienne seconde face du vinyle, "An Tourter" est parsemé de bruitages menaçants et de cordes de basse claquées, sur lesquels évoluent des séquences rythmiques de synthétiseurs, une batterie aussi lourde et étouffante que l'ambiance. Le tout lancé en bal-plinn dans un esprit de condamnation, renforcé par les choeurs secs et le chant cynique de Jean-Louis Jossic, qui nous suggère le brezhoneg/le breton relevé à la sauce (l'accent) asiatique ! Quant au final de l'album, là encore on y retrouve le côté "classique" du groupe. Comme "An Tourter", la "Complainte de Yuna Madalen" emploie un mode mélodique dorien (très employé dans l'univers celtique pour le coup, écoutez "Mnà na hEireann"/"Women of Ireland", "Tri Martelod"...), avec ça de différence que l'arrangement y fait ressortir les influences médiévales, de manière très élégante et doucereuse. La voix de Jean-Paul Corbineau passée dans un delay (écho), la guitare électrique en son "clean" par ailleurs très présente sur tout l'album donnent ici une ambiance céleste et feutrée, ponctuée de touches féériques par ce qui me semble être un modèle DX7 de chez Yamaha, le synthétiseur le plus courant à l'époque. Cet aspect mi-acoustique mi-électronique, mi-traditionnel mi-variété, sans rythmique et toujours étonnant, se retrouve dans les albums que le groupe corse I Muvrini produit dans l'intervalle 1984-85, pour faire un parallèle avec une autre culture qui veut alors arrêter de survivre et désire vivre. L'instrumental "Les Chevaux du Mene-Bré" (en hommage à l'un des sommets des monts d'Arrée) développe cette fresque enchanteresse autant que troublante, grâce à une fausse harpe et des voix jouées au clavier, un solo de guitare (empreinte de David Gilmour ou Andy Latimer fortement perceptible !) et de puissantes bombardes. De quoi conclure le disque de manière bouleversante par une ambiance toute en amplitude, d'aspect mélancolique -et avec une touche cinématographique-, néanmoins lumineuse. Les mêmes qualificatifs peuvent être employés pour la musique d'Arvo Pärt, à laquelle je pense automatiquement, et bien que l'univers sonore soit ici complètement différent, moins minimaliste. On parlait bien, plus haut, de musique sacrée...


 

Le résumé de la chronique (que tout le monde peut lire sans problème) :

Café du Bon Coin tient son nom d'un établissement aujourd'hui disparu de Nantes, et qui représente tout un symbole pour les Tri Yann et l'ancienne génération, celle d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Un peu comme cet album d'ailleurs, car en ce qui concerne le groupe nantais et en dehors de ses fans, le public se contente des compilations ou des reprises d'artistes variété actuels. La pochette rouge vif donne un sentiment de chaleur, tout comme le choix du nom, un côté "plaisirs simples". D'ailleurs, l'esprit agréable de ces moments où l'on se détend à une table de bar, le feu crépitant dans la cheminée, est restitué dans des morceaux comme "Irish Coffee". Et le tenancier de vous dire "Vous reprendrez bien un peu de café, juge Abigail ?", ce à quoi, brusquement, vous répondez "Non merci, maintenant c'est la pause chouchenn !". Du coup les copains débarquent, on sort les tables longues en bois et l'on festoie joyeusement, à grand renfort de cervelas et de jambon, comme le veut la "Chanson à Boire". "L'eau ne fait rien que pourrir le poumon, vide-nous ce verre et nous le remplirons !...". Et là comme moi, vous sursautez en vous réveillant car en réalité vous adorez les bretons, les moments de fête, cependant vous ne buvez pas d'alcool par principe (mais n'êtes pas végétarien pour autant), et comme le choc est dur, vous vous enfilez un Doliprane... avec un verre d'eau.




L'album mélange donc à loisir des éléments folk, rock, funk ou pop comme sur "La Ville de la Rochelle" et son côté fabliau, ainsi que sur "Les Programmeurs", satire du métier d'informaticien, de son quotidien oisif et répétitif, qui pousse l'homme à devenir machine à la place de la machine. Ce n'est plus Iznogoud, c'est Inform'attic ou Intern'hot. Le chant en gallo, français déformé caractéristique de la partie est de la Bretagne -sur une carte géographique, c'est grosso-modo à droite de la ligne verticale St-Brieuc/Vannes-, y brille autant que le brezhoneg/breton venant lui de la partie ouest, sur d'autres morceaux. "An Tourter" reprend un poème de Visant Séité, pamphlet à l'encontre des bulldozer et autres instruments de cette torture que subit la nature, les Celtes étant viscéralement attachés à cette dernière. En dépit de la lourdeur du morceau et de l'arrangement contemporain implacable, on sent une grande fragilité dans l'interprétation, au moins autant de tristesse que de colère et pour le coup, le français s'accoquine bien au breton sans pour autant vouloir dire la même chose à l'origine. "Kan Peoc'h", écrit par les Tri Yann cette fois et dont l'équivalent français serait "chant de paix" ou "pour la paix" (je rappelle que je suis provençal, que le brezhoneg/breton n'est pas très courant par chez moi, alors un peu d'indulgence je vous prie), se scinde en deux mouvements chacun constitué de deux strophes, avec les horreurs de la guerre dans le premier, et le désir ardent que l'amour refleurisse -comme la nature- à échelle planétaire dans le second. Ce qui pourrait aisément apparaître naïf à la lecture est contrebalancé par un arrangement tribal, plus rock que le rock français lui-même (ce qui n'est en vérité pas bien difficile, mais non je rigole !).

Le restant du disque est dédié à des moments permettant aux guitares électriques de se reposer un peu, où Jean Chocun et Christian Vignoles dégainent les bouzoukis, mandolines et mandoloncelles, pendant que Jean-Paul Corbineau développe les ambiances légendaires avec sa voix de ménestrel romantique. Des histoires prenantes, qu'elles soient purement imaginaires comme sur "Kalonkadour" (un lac dont la beauté a été altérée et qui dans la seconde partie retrouve tout son éclat et son enchantement) ou plus dans le style "Cette histoire, mes amis, je vous jure qu'elle est vraie !" (à dire avec la voix de Jean-Louis Jossic, et ceci dit elle l'est vraiment !) pour "La Ville Que J'ai Tant Aimée". La ville d'Orvault, en banlieue de Nantes, remplace celle de Derry en Irlande du Nord dans la version originale de la chanson par Coulter et Martin ("The Town I Loved So Well"), et décrit de manière implicite mais non sans détails tristement révélateurs, l'arrivée des anti-démocrates -sous-entendu de droite- à la mairie en ce début des années 80. Entre nombreux clins d'oeil à Turlough O'Carolan, "Irish Dances" est l'une des plages mélangeant plusieurs aspects, folk et rock, tandis qu'à l'inverse, le final du disque adapte les guitares électriques et synthétiseurs à des moments planants, féériques et feutrés.

En tout cela, Café du Bon Coin représente une expérience de choix dans la discographie des Tri Yann. A l'aube d'une époque mais sans renier son passé, l'album est épris de concessions populaires, traditionnelles ou variété, s'orientant vers l'actualité autant que les légendes du côté des textes, et en même temps fait ressortir l'audace et le mysticisme tout aussi chers au groupe. Ce dernier ne mérite décidément pas le stéréotype de simples clowns auquel les puristes le réduisent souvent, et au contraire participe (au présent car quoiqu'on en dise, c'est toujours le cas) considérablement à l'enrichissement du folklore celtique, celui qui depuis alors une quinzaine d'années cultive sa différence en soutenant les rapprochements. Entre Bretagne et Irlande, chaleur et étrangeté, ce disque demeure parmi les plus appréciés et annonce encore énormément de belles expériences, renouvelant un cycle et pas que d'un point de vue musical : il s'agit du dernier album studio en compagnie de Bernard Baudriller, membre fondateur qui part, à la suite de la tournée correspondante, fonder une école de musique à Poitiers.








Par Ma'c

Jeudi 24 octobre 2013 à 20:43

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Interview de Gilles Snowcat réalisée à la fin de l'an de grâce 2012



Pourquoi avoir choisi "Snowcat" précisément ?

Parce que je suis un chat. Je n’ai pas vraiment choisi de nom, j’ai juste choisi de ne pas en changer.

 

Peux-tu nous parler de tes premiers coups de cœur artistiques ? Quel est ton parcours musical ?

Il y a tant d’artistes qui me fascinent et dont je suis le disciple invisible –car ils ne le savent pas-, que te dresser une liste ne serait qu’un ennuyeux name-dropping.

Mon parcours musical doit ressembler à un chemin nihiliste aux nombreuses déviations hédonistes, longeant une route, la touchant parfois, s’en méfiant toujours. Je préfère rester un petit dans la cour des grands, plutôt qu’un grand dans la cour des petits.

 

Tu es claviériste avant tout. Quels sont tes modèles favoris ? Es-tu du genre à différencier de manière catégorique un orgue Hammond B3, un Elka Rhapsody, un DX-7 de Yamaha et le dernier modèle de chez Korg ?

Je ne suis pas claviériste au sens propre du terme, même si j’ai une affinité particulière avec ces instruments.

La présence d’une machine particulière dans un enregistrement tient parfois autant de stratégies, d’un attachement sentimental ou de recherches hasardeuses que du son lui-même. Parfois la chanson s’adapte à l’instrument, parfois elle le choisit.

Dans un mix, de toute façon, c’est l’interaction avec les autres instruments qui compte. Si tu as déjà deux guitares disto, une basse fuzz, un chant suraigu, des percussions, cinq choristes, des cuivres et des cordes, que l’onde sinus de ton clavier vienne d’un DX-7 ou d’un Casiotone ne changera plus grand-chose au résultat final.

C’est une des raisons pour lesquelles je ne m’intéresse pas aux nouveautés. Le jour où un synthé apportera au monde musical autant que le DX-7, le Mellotron, le MiniMoog ou autre Fairlight ont pu le faire, j’y jetterai une oreille avec plaisir. En attendant je m’en fous.

Je suis toujours atterré de voir tous ces musiciens se ruer sur les claviers Nord dernier cri, tu sais ce truc rouge, juste pour avoir exactement le même son qu’avec ce qu’ils utilisaient auparavant. Même son ou même absence de son, d’ailleurs.

 

Et au niveau du chant ? Là aussi on est plutôt dans le domaine atypique !

Je vais me permettre de te répondre par une citation de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ».

Mon idée de départ était pourtant de ne pas chanter. J’y ai été presque forcé néanmoins, certaines de mes chansons rebutaient dramatiquement les chanteuses et chanteurs qui se risquaient à collaborer avec moi. Pendant des années, je me suis battu avec la mélodie, ce qui donnait des résultats plutôt hasardeux, jusqu’à ce que j’arrive enfin à faire corps avec elle. Je suppose que ma voix et la mélodie ont trouvé une sorte de gentleman’s agreement.

 

Comment expliques-tu le choix du nom Awaken ?

Je devais être dans une humeur de plagiat, j’ai trouvé qu’une chanson de Yes avait un joli titre.

 

Il ne s'agit pas que d'un joli titre, mais l'une des pièces favorites des fans de Yes qui tiennent à s'écarter un peu des sentiers battus. Est-ce que cela se rapproche de ta volonté d'en faire autant, ne pas citer uniquement les tubes, ne pas t'accrocher à l'idée d'un soi-disant "âge d'or" d'un groupe imposé par une certaine part de ses aficionados ?

L’attachement à un soi-disant ‘âge d’or’ tient soit d’une nostalgie sincère de fans ayant vécu cette époque pour de vrai, soit d’une affligeante paresse qui les fait penser de manière confortable, pour suivre leur mentor Panurge, représenté ici par les médias et les musiciens, même si je comprends un peu plus l’attachement à une ‘grande époque’ de leur part, puisqu’ils y ont souvent vécu quelque chose de très fort. Mais les fans sont souvent plus snobs que sincères. Quoique tu pourras me trouver snob en donnant l’impression de ne m’intéresser qu’à des enregistrements obscurs, non ?


 
A quel point un Belge en arrive t-il à devenir féru d'Extrême-Orient ?

Probablement un concours de circonstances. La vie est un jeu de domino, tout y arrive de fil en aiguille, tout est la conséquence de quelque chose d’autre. Mais les raisons exactes finissent par se perdre dans la lueur de la nuit. Ce que je peux être poète à mes heures, n’est-ce pas ?


 
La lueur de la nuit et la poésie te sont d'ailleurs majoritairement insufflées par tes allées et venues dans les rues d'une petite ville de l'île de Kyushu, au Japon...

Je crois qu’on cherche tous sa Hauptstraße 155, quel que soit le continent. Cet endroit dans lequel on peut dire sans arrogance : « mes nuits sont plus belles que vos jours ».


 
Ta démarche de création prend un certain temps à ce que je sais. Peux-tu résumer en quelques mots le cheminement ainsi que le message (si toutefois il y en a un) que tu as envie de faire passer par tes disques, en textes et en musiques ?

Il n’y a pas de message au sens habituel du terme, juste une dimension hédoniste dans ma musique, dans le processus créatif et dans le résultat, qui mêle le fun le plus décomplexé, le plus basique, le moins soumis aux règles, et ce qu’on appelle le ‘meaningful’ en anglais, qui se traduit mal en français. Avec une grosse dose de nihilisme, je suppose.


 
La production des disques représente tout un concept à elle-même. Est-ce une envie de te démarquer du côté propre et perfectionniste qui sévit dans l'univers musical depuis que l'industrie s'en est mêlée ?

S’il n’est ni maladif ni paralysant, le perfectionnisme ne me dérange pas, surtout quand il mène à des résultats aussi exceptionnels que, par exemple, une production de Quincy Jones.

Ce qui m’ennuie, c’est l’insipidité, ce play-safe qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le souci de la perfection. L’art –et le rock en particulier- est une sorte de no man’s land dans lequel tout est permis –dans les limites du respect de la vie bien sûr-, y compris et surtout briser les règles. J’aime l’attitude punk, le doigt d’honneur fait aux conventions tout en ne les détruisant pas. C’est sain et ça reste assez pacifique en fin de compte. C’est une révolution qui laisse toujours le choix. Que le mouvement punk ait dit « fuck off Genesis » n’a tué personne, il a au contraire permis aux mélomanes d’écouter The Clash et Genesis en même temps, d’enrichir leur culture musicale.


 
Et ces musiciens, membres du groupe ou extérieurs qui te soutiennent, comment les choisis-tu ?

Si une petite voix me dit « celui-là » ou « celle-là », je tente le coup. Quelle qu’en soit la raison primaire. Parfois le courant passe, parfois pas.


 
Il y en a malgré tout certains qui, en parlant de courant, ont fait naître des générateurs d'énergie durable, comme les membres de Sousbock qui sont loin de chez toi, ou les Narcotic Daffodils dont ce n'est au contraire pas le cas. Préfères-tu travailler "in Real Life" ou par Internet ?

Je ne travaille pas par internet, je ne me sers de cet outil que pour accélérer l’envoi de pistes. Que je reçoive une piste via la voie numérique ou des bandes par la poste ne change pas grand-chose, sinon que c’est plus rapide par le réseau. Ce qui change par contre, c’est qu’une bande est impersonnelle et m’incitera plus facilement à y faire du travail expérimental, à jouer à l’apprenti-Eno, alors que si un musicien a enregistré en ma présence, avec quelques verres pour se détendre, je serai plus enclin à conserver ce qu’il a fait tel quel, presque comme un témoignage live. Je ne sais pas ce que je préfère, ce sont deux méthodes tellement différentes et complémentaires que je suis heureux quand je peux les combiner. Maintenant à choisir, je préfèrerais des musiciens physiquement présents, au moins je peux leur piquer des plans plus facilement.


 
Tes albums avec Awaken sont des LPs remplis à ras-bord. Est-ce, en dehors de ton inspiration du moment et comme dans le milieu rap, une manière d'aider l'auditeur à patienter jusqu'au prochain opus (en plus des singles et EPs), sachant que le dernier en date remonte à 2001 ?

Non, c’est juste parce que je pense que les chansons en question doivent y figurer. Tout comme certains disques sont des EP’s de 20 minutes parce que c’est bien ainsi. C’est amusant de voir que j’utilise assez peu mon format préféré, qui est un album de 40 minutes, durée imposée par le vinyle. Seul « Moko-Moko Collection » s’en rapproche.



Quand as-tu décidé de te lancer dans une carrière solo ?

Avec le développement incontrôlable et exponentiel de mon narcissisme. Il y a un moment où les choses ont bifurqué, il est devenu évident que certains enregistrements seraient d’Awaken et d’autres de Snowcat, quels que soient les musiciens y participant. Mais ça n’a qu’une importance très relative, non ?



Tu qualifies ton dernier album solo, Moko-Moko Collection (paru début 2012), de projet musical "art-rock". Peux-tu nous dire pourquoi ?

Le terme « art-rock » est un amusant pléonasme, le rock étant par définition de l’art. Mais dans certains cas, le processus de création musicale est bien plus vaste qu’une simple accumulation de notes de musique qui doivent bien sonner, c’est une vision artistique qui englobe des paramètres extra-musicaux, qui pourtant influencent directement la musique. Ce sont des stratégies ou des corrélations avec des visuels, ou toute autre forme d’art. Tout ce qui nous entoure comporte une part d’art, c’est au musicien de la traduire en musique. On peut aussi ajouter que je fais de l’artisanat. Parce que le processus de création reste purement artistique, le côté business ne vient qu’une fois le produit fini entre les mains. Ça va à l’encontre des principes castrateurs du business lèche-bottes qui tend à vouloir plaire à tout prix, à s’abaisser à devenir esclave d’un public qui pourtant aurait bien besoin d’être un peu secoué.

L’art doit rester une dictature de l’artiste sur son public. C’est l’artiste qui décide, ensuite le public accepte ou rejette. Mais dès qu’on se met à faire des concessions dans le seul but de ne pas choquer, on est foutu.



Cet album figure effectivement parmi ce que l'on peut recommander de mieux en termes d'œuvre peaufinée mais qui se soucie peu de déranger. On y croise beaucoup d'influences reggae, de chœurs asiatiques, de bidouillages électroniques et même un morceau punk. Le tout sonnant à la fois pro et "fait maison" ! C'est très étonnant, surtout quand on sait que le cœur de l'album en constitue le clou, avec un "Rites of the Circling Food" particulièrement impressionnant. Cet album, pour sonner aussi abouti et élégant, représente t-il quelque chose de particulier pour toi ?

Il représente beaucoup, mais chaque album ou EP ou single représente quelque chose. Après tout si j’amène une chanson jusqu’au stade de l’enregistrement et de l’officialisation, c’est qu’elle en vaut la peine, qu’elle a la carrure pour devenir locomotive et tirer vers le haut mon répertoire plus ancien. Ce qui ne représente rien ne va jamais plus loin que la poubelle. « Moko-moko Collection » est ce plaisir que tu as à aller pisser sur les murs de ton lycée à minuit, quand tu es dégagé de toute contrainte, que l’autorité n’a aucune prise sur toi, quand ta simple présence est un doigt d’honneur, quand tu es dans un no man’s land et que tout t’y est permis. « Moko-moko Collection » c’est d’une main faire un doigt d’honneur à cette imbécile paresse d’esprit de la société des smartphones, et de l’autre un doux massage à ta dulcinée derrière un rideau de velours. « Moko-moko Collection » c’est un breuvage qui empoisonne les abrutis mais se transforme en liqueur divine pour qui sait ouvrir ses oreilles. C’est à la fois un crachat et un orgasme.



Peut-on à présent espérer un Moko-Moko Collection II, ou un Party in Lyceum's Toilets 2.0 ?

Jamais ! Chaque enregistrement étant la suite du précédent, ce serait un non-sens total d’en considérer un comme une suite plus valide qu’un autre, au point de réutiliser un ancien titre en l’affublant d’un « numéro 2 » réducteur.



Quels moments musicaux retiens-tu en priorité dans ta carrière ?

Les moments de choc. Ce sont les moments de création inattendue qui sont les plus intéressants. Ceux qui mènent à une envie de composer, ces moments de déséquilibre qu’on tend à renverser en créant une musique.



Quelle est ton opinion sur l'évolution des musiques dites "actuelles" ?

Les artistes qui ont de la bouteille sortent toujours des disques supérieurs à la moyenne, mais les jeunes me désespèrent. On nage dans le culte du safe, une totale absence d’audace, peu de mélodies, des suites harmoniques sans intérêt et formatées, une interprétation timorée, une production lisse... Du vide, du vide, du vide. Fuck it !!!!

Heureusement il y a toujours l’une ou l’autre personnalité qui se démarque, comme Lily Allen ou même Maroon Five, mais ça reste minoritaire hors du circuit underground.

Dans les années 90, il y avait Take That qui pissait un peu plus loin que le commun des boys bands, et actuellement Muse pourrait être un bon groupe s’ils n’étaient pas aussi tâcherons live, à refaire note-pour-note sur scène ce qu’ils ont enregistré en studio. Le rock c’est aussi oser l’improvisation, bordel ! C’est pouvoir commencer un morceau sans savoir quand ni comment le terminer…

On dit parfois que l’époque est trop permissive pour qu’un mouvement réellement rock puisse se développer, mais si on regarde de plus près, ce qu’on a gagné en liberté d’un côté, on l’a perdu de l’autre. Par exemple tout le monde peut parler de cul à toute heure de la journée sans choquer grand monde, mais paradoxalement toute tentative de séduction est punissable comme harcèlement ! Va-t-en comprendre… La société garde son quota de tabous qui pourrait nourrir la hargne de vrais rockers s’ils se donnaient la peine de brancher leur guitare au lieu de perdre leur temps sur leur stupide smartphone pour envoyer des messages insipides sur ces foutus réseaux sociaux de merde…



Qui soutiens-tu de préférence ?

Parmi les artistes actuels estampillés underground, il y a Trust No One et Sousbock qui ont quelque chose d’intéressant à exprimer, d’ailleurs je les corromps de temps en temps pour qu’ils ajoutent leur patte à mes humbles productions, et j’aime particulièrement ce que fait Haraa. Il a ce qu’il faut d’audace et de grain de folie pour envoyer chier ce système aseptisé.



Les chats des neiges font-ils exprès de délaisser Bastet pour Bankstate ? Car tout le monde sait que le félin est rusé, que Bastet a fait basket avec bol, et que Bankstate ment. Que dirait Baskerville de tout cela ?

Wouf wouf. Ce qui signifie : « tous les pays Basques sont égaux, mais certains sont plus indépendants que d’autres. »



Peux-tu d'ailleurs nous parler des eaux de Lethe ?

Elles sont pleines de cadavres de gnomes priapiques et d’asperges mal cuites, ayant les pieds prisonniers d’un seau de ciment à prise rapide. On y trouve aussi quelques déchets, comme ce Synclavier qui arbore honteusement un autocollant « Défectueux. Renvoi usine », ou des bandes de Mellotron sauvagement arrachées par un utilisateur irascible, hurlant à l’adresse de son instrument : « Va te faire watcher dans le sky sans vaseline ».



Quelque chose à dire aux amateurs de Bénabar, de Christophe Dechavanne et de SUV à frein de parking électrique ?

Oui. Je voudrais leur rappeler que le dernier album de One Direction est sorti. Mais ils l’ont certainement déjà acheté.


Site officiel d'Awaken et Gilles Snowcat

Ecouter des extraits de l'album Moko-Moko Collection



Par Ma'c

Dimanche 20 octobre 2013 à 12:16

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Quand on entend le nom de Vanessa Carlton, on pense directement à son unique tube interplanétaire "A Thousand Miles", matraqué sur les ondes en 2002, et qui a (hélas) de ce fait beaucoup aidé à confiner la jeune artiste au rang des étoiles éphémères. Pour les langues les plus fourchues, son image est définitivement rattachée à celle d'une minette à la voix acidulée, qui interprète une ballade bien couverte par une réalisation bien léchée et au moyen d'un piano monté sur roues faisant le tour des Etats-Unis, sommet de mièvrerie absolu.

C'est réellement dommage car le talent de Vanessa lui aura justement permis au fil des ans de se démarquer d'autres chanteuses plus strictement grand public. Née le 16 août 1980 à Milford en Pennsylvanie, nièce du guitariste de jazz Larry Carlton, hésitant jusqu'à la fin de l'adolescence entre la musique et la danse classique, elle part en fait d'un album relativement bon et tout autant impersonnel (Be Not Nobody, contenant le fameux "A Thousand Miles"), car subissant encore l'influence du producteur Ron Fair, clef de voûte d'une première expérience en demi-teinte. Un déséquilibre s'installe entre ce succès énorme et un profond malaise sur le plan artistique. Fair est toujours présent sur Harmonium, le deuxième album paru en 2004, mais la chanteuse tient à cette oeuvre comme faire-valoir d'une rupture bien consommée. Ayant alors pour compagnon Stephan Jenkins du groupe Third Eye Blind et qui devient son producteur, elle entre en conflit avec sa maison de disques A&M Records, qu'elle quittera ensuite. Par ailleurs, son single “White Houses” fait l'objet d'un malentendu, une de ses strophes ayant été interprétée comme apologie de la masturbation -ce que la chanteuse a farouchement nié- et choqué, on se doute, les médias de l'Amérique puritaine. Harmonium, album plus sombre que le premier, ne compte même pas 200.000 copies vendues, en comparaison avec les 3,5 millions de Be Not Nobody.

Vanessa Carlton est amoureuse du groupe Fleetwood Mac, et cela se ressent autant dans son envie de convier Lindsay Buckingham pour quelques parties de guitare acoustique à l'occasion de l'enregistrement de “White Houses” en 2004, que dans celle de faire figurer sa grande amie Stevie Nicks en contrepoint vocal sur ce qui est présenté comme son nouveau single, “The One” en 2007. Le troisième album, nommé Heroes & Thieves, arrive dans les bacs de manière confidentielle (avec, comme en France, l'étiquette “Import US”), alors que la chanteuse affine encore davantage son univers, néanmoins toujours placé sous l'emblème “piano-pop” qui l'a faite connaître et dont elle est reine. Bon an mal an, elle aura grimpé les échelons de qualité jusqu'à ce quatrième opus, Rabbits on the Run, presque dix ans après ses débuts (nous sommes en 2011), créant un effet de proportionnalité inverse à celui de sa courbe de popularité. Si Be Not Nobody, favorisé par une major, était l'une des grosses ventes internationales de 2002, Rabbits on the Run parait sur un label indépendant et dans l'indifférence générale (en dehors des fans). J'ai dû moi-même commander cet album en import et patienter trois mois avant de le recevoir...




Vanessa Carlton est, à trente ans comme à vingt, une femme éprise de sentiments forts qui se voient modifiés par le temps et l'expérience. Son apparence extérieure change elle aussi. Mais au fond pour ses proches, tout cela ne signifie pas grand-chose, et le public qui reste fidèle à son univers créatif peut en dire autant de ce côté-là, au niveau de l'appréciation. En revanche, si dix ans ne représentent certes pas grand-chose dans une carrière, cette évidence ressort surtout à l'échelle d'artistes hyper-productifs, car pour une chanteuse au rythme de publication rendu difficile, le contraste est saisissant. Au départ elle chantait le conte de fées et l'évasion, à présent c'est plutôt l'amour impossible, la course inébranlable du temps et la mort qu'elle retranscrit jusque dans le titre de l'album, Rabbits on the Run. Elle s'inspire ici de deux livres : Brief History of Time/Une Brêve Histoire du Temps de Stephen Hawking et Watership Down/Les Garennes de Watership Down de Richard Adams. Pour donner une idée de l'ampleur de ces textes, le disque commence avec "For all you broken-hearted, lovers lost, go, find another one, 'cause you know time won't wait and you'll be late, white rabbit's on the run..." et termine avec "...And you'll carry on 'cause in the end, it's the way of all things...". Ces deux phrases se fondent respectivement dans une mélodie des plus enfantines (“Carousel”) et pour la seconde, à travers une musique appesantie dans des tons de lueurs obscurcies (“In the End”), non sans ajouter un “It will be beautiful” presque ironique sur ce dernier morceau où le spectre de la mort semble avancer pas à pas vers nous. Les trente-cinq minutes de Rabbits on the Run semblent tel un concept vouloir dépeindre les étapes d'une vie et ce qui en constitue la dynamique : les deux premières chansons évoquent l'enfance et l'adolescence ; sur le plan des vicissitudes, "Hear the Bells" et "Tall Tales for Spring" sont les phases sombres, auxquelles "London", "Fairweather Friend" et "Dear California" s'opposent comme quêtes d'évasion ; et les trois derniers morceaux, de plus en plus "lourds" de sens, représentent la lente marche vers la fin de l'existence. Il s'agit d'une analyse toute personnelle, et sans rapport direct avec la plupart des textes abordés, mais plutôt d'un point de vue musical. Sachant que le parti-pris du disque, même sombre, demeure celui d'une jeune chanteuse toujours considérée comme la reine de la piano-pop ; inutile de vous attendre à ce que sa musique épouse la violence apocalyptique selon Marduk et autres piliers du black metal.

Chaque chanson est une pépite de songwriting et de finesse avec sa particularité, aucune ne ressemble à une autre. De la ritournelle presque innocente “Carousel” aux circonvolutions en triolets tourmentés de “Tall Tales for Spring” (laissant presque imaginer l'ancienne petite danseuse Vanessa devenue ballerine aliénée), des envolées de “Fairweather Friend” à la majestueuse “London”, de l'entraînant et ensoleillé “Dear California” à la ballade folk et ample “Get Good”, il n'y a qu'un pas. L'instrumentation se résume à une section rythmique, quelques cordes loin d'être aussi léchées qu'au moment de l'influence Ron Fair il y a dix ans, un soupçon de cuivres pour le côté inédit, l'éternel piano de la belle conduisant le tout, et une interprète vocale qui n'aura jamais aussi bien maîtrisé son propos, grâce à un chant sobre, moins acidulé et forcé. La production est elle-même peaufinée, ce disque ayant été enregistré chez Peter Gabriel aux Real World Studios en Angleterre, sur une bande analogique et produit par Steve Osborne, dont Vanessa a beaucoup apprécié le travail effectué pour le groupe Doves, et qui lui a été présenté par sa grande amie, KT Tunstall. Ensemble, ils ont tenu à abandonner le formatage du CD et la “loudness war” (pour les non-musiciens, en français on appelle cela “course au volume”), afin de proposer un son chaud de vinyle et une ambiance singulièrement éthérée sur un ensemble de chansons d'une durée non moins modeste. Publié en 33 tours et en CD, cette réalisation est selon moi la meilleure de Vanessa Carlton, digne d'un travail de fileuse et auréolé d'amour pour la musique. À ranger aux côtés d'autres disques de jeunes chanteuses anglo-saxonnes qui, à peu près au même moment et quelle que soit leur empreinte, ont toutes ressenti ce besoin de sortir des sentiers battus : Katie Melua (The House, 2009), KT Tunstall (Tiger Suit, 2010 et depuis, Invisible Moon//Crescent Empire, 2013), Sara Bareilles (Once Upon Another Time, 2012)...






Par Ma'c

Samedi 19 octobre 2013 à 12:39

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Le contexte :

La carrière de Dire Straits, groupe de Mark Knopfler (et de John Illsley que l'on oublie trop souvent, mais qui est le seul autre membre fondateur à être resté jusqu'au bout) connait trois temps bien distincts. Les deux premiers albums, ceux des années 1978-79, sont empreints d'influences blues-rock sudiste -comprendre sud des Etats-Unis- et reggae renforçant l'esprit cool et pépère (Communiqué est même enregistré aux Bahamas), et tout ce qui permet au groupe de constituer un élément culte de la musique 70's aux yeux d'une part minoritaire de fans qui aiment les choses simples et ne s'en remettront jamais : vous les reconnaîtrez facilement car ils passent presque plus de temps à traiter le Dire Straits d'après comme de la merde que de parler de celui qu'ils aiment vraiment.

À leur décharge, il faut savoir que dès 1980 sur Making Movies, les claviers font partie intégrante du son du groupe (ndlr : plus qu'avant, car il y en avait déjà un peu en occasionnel malgré tout). Mais il ne s'agit encore que d'un piano couplé à un orgue Hammond comme chez Bruce Springsteen (Roy Bittan du fameux E Street Band étant d'ailleurs l'élément-clé de ce changement), pas de quoi faire trembler Philippe Manoeuvre ni Antoine De Caunes (normal puisque ce dernier adule Springsteen, et moi itou d'ailleurs -straits). Ce qui arrivera néanmoins avec Love Over Gold deux ans plus tard, où les synthétiseurs font réellement leur apparition (et là comme j'adore cet album, je me retrouve comme trois connes, puisque De Caunes reste lui-même... ok je sors). Dire Straits dans l'air du temps ? Pas tout à fait, il s'agit plus d'un mélange de pop et de rock progressif pas foncièrement vendeur du moins si l'on sort du carcan des tubes, mais très en vogue à l'époque y compris de la part de dinosaures comme Yes et Genesis (si l'on essaie de vous faire croire que ceux-ci n'étaient plus bons que pour la "pop commerciale", demandez une pièce de 2 € en échange, d'abord parce que c'est éprouvant comme toute marque de haine qui se veut gratuite, et qu'à force de l'entendre, vous serez vite aussi riche que Bill Gates). C'est donc une sorte de période de transition, parsemée de curiosités comme l'EP Twisting by the Pool -un mois après Love Over Gold, mesurez la différence de style- ; les premières musiques de films par Mark Knopfler mais avec les autres musiciens du groupe ainsi que des invités ; ou encore l'abondance des synthétiseurs qui sont dorénavant tenus par deux musiciens, notamment en live où les morceaux sont rallongés et davantage alambiqués (cf. le double live Alchemy). Bref, pratiquement plus rien à voir avec le blues et les Bahamas ; seuls Mark, sa voix, sa guitare et son ami John Illsley font le lien, jusqu'à ce que le leader du groupe alors jugé le plus clean du rock (ni sex, ni drugs...) ne se décide à ajouter le fameux bandeau de tennisman.

Cela symbolise d'ailleurs l'entrée dans la troisième période, que je qualifierais bêtement -et pour titiller les grincheux- de période "stades". Parce que l'aspect pop et tubes devient plus présent, même si le groupe encore une fois ne rechigne pas à l'audace ; finalement, c'est dans ses débuts qu'il en usait le moins, car comme le dit le proverbe : "Les choses les plus appréciables sont les plus modestes" (Usain Bolt ou Zlatan Ibrahimovic, je ne sais plus). Et à propos de modestie, la partie du public qui les soutient le plus dans cette aventure (majoritaire, on le sait), ne se soucie pas trop des "Telegraph Road" et tous ces morceaux à rallonge qui viendront les ennuyer entre deux tubes durant la tournée, à chacun sa part d'incompréhension. Après des bandes originales de films plus ou moins confidentiel(le)s, Mark Knopfler, John Illsley et le claviériste Alan Clark auxquels se joint un Guy Fletcher encore tout jeunôt poussent les portes des Air Studios sur l'île de Montserrat (Caraïbes de nouveau) où The Police a fait ses dernières armes -le parallèle n'étant pas anodin-, pour accoucher de ce qui reste la plus grosse vente du support CD dans ses premières heures et l'une des plus importantes de tous les temps, pour le disque tout court cette fois : Brothers in Arms.

Blague à part : j'ai réussi à écrire plus sur l'époque de transition que les autres, n'est pas progueux qui veut.





 

L'analyse, musicologique sur les bords, généreusement détaillée :

Contrairement à Love Over Gold qui est (et reste) le seul album du groupe produit uniquement par Mark Knopfler, Brothers in Arms nécessite la présence de Neil Dorfsman, architecte sonoristique du Wanderlust de Mike Mainieri (1981), vibraphoniste de jazz réputé qui avait d'ailleurs participé aux dernières fournées de Dire Straits, bandes originales comprises. En revanche, c'est la première fois que le groupe ne comporte pas de batteur "fixe". Nous avons même la surprise de voir dans les crédits le nom d'Omar Hakim, alors pilier du groupe de Sting, précéder celui de Terry Williams, pourtant rattaché aux dernières tournées de Dire Straits. Peut-être est-ce une forme de malédiction -fictive bien sûr- imposée par Pick Withers, le membre fondateur parti cogner sur du jazz en 1982. Mais il est certain que dès Love Over Gold, les batteurs de Dire Straits sont condamnés à ne pas dépasser le stade de musicien de studio ou de tournée, même si la présence de Williams se distingue par sa récurrence durant les années 80. Ce batteur rock qui insuffle une puissance non-mesurée aux tournées 83 et 86-87 n'aurait, selon les dires récents du producteur Neil Dorfsman, pas convenu par rapport au son recherché durant le premier mois de l'enregistrement, et sa seule participation à Brothers in Arms demeurerait l'intro de "Money for Nothing", ce qui a de quoi faire sourire quand on sait qu'il s'agit de l'unique moment de l'ensemble où l'instrument s'exprime de manière libre et exubérante. Pour le reste, c'est le non-moins classieux Omar Hakim qui tient les baguettes, avec un jeu tout en subtilités mais qui conserve une modestie toute aussi remarquable, et malgré un son caractéristique de l'époque qui achève de faire fuir les fans les plus courageux parmi ceux de la première heure. Ainsi, Dire Straits devient le seul groupe à comporter deux claviéristes, mais pas de batteur !

En vinyle, Brothers in Arms dure environ trois quarts d'heure, et en CD un peu moins d'une dizaine de minutes supplémentaires. Cela s'explique par le fait que la durée d'un vinyle, à savoir une heure, est depuis les débuts de ce support, rarement remplie à ras-bord, donc toutes les chansons de la face A (à l'exception de "Walk of Life") sont raccourcies. On se trouve alors dans un cas de figure plutôt intéressant : ceux qui haïssent le Dire Straits des années 80-90 et disent s'endormir à son écoute peuvent aisément préférer la version vinyle, tandis que ceux qui acceptent l'audace et les morceaux qui prennent leur temps avec un enthousiasme non-dissimulé vont se rabattre sur le CD, sachant que ce dernier était encore à promouvoir à l'époque. Brothers in Arms fera ainsi d'une pierre deux coups, un succès à la fois artistique (et en misant sur l'équilibre car raisonnablement calibré et modérément exigeant) et commercial. Evidemment, ce sont les parties instrumentales qui font les frais des coupures du vinyle. Mais cela prouve que l'expression "pop-progressive" vaut toujours pour Dire Straits, même si ce groupe-là fait toujours ressortir d'une certaine manière ses influences blues et sudistes quoiqu'on en dise (comme Genesis faisait du prog dans les eighties). Un exemple à l'appui : "Why Worry ?". Bien que mettant nettement l'accent sur un son typiquement d'époque, les claviers restent soft et n'effacent pas l'esprit décontracté similaire à celui des premiers albums, auquel Knopfler a insufflé le romantisme de Love Over Gold. On est d'ailleurs ici très proche de la chanson-titre de ce dernier disque, jusque dans l'idée du texte. Pour en finir avec la filiation sudiste, volontairement ou non pour le coup, la mélodie est construite sur un mode mixolydien (gamme ancienne avec une tierce majeure et une septième mineure), très utilisé dans la musique britannique et celtique entre autres, et notamment le blues, le bluegrass et tout ce qui a pris forme au sud des Etats-Unis depuis un couple de siècles.

Toujours en parlant de ces musiques-là, on les retrouve de manière évidente d'abord dans "So Far Away", très blues et nostalgique à tous les niveaux, mais en gardant cette empreinte relâchée. Ce morceau a un côté féérique, que même la version live, plus "lourde" et accélérée, n'arrivera pas à ternir non plus. En revanche, le rockabilly-twist "Walk of Life" se prête déjà en studio à un ton joyeux et dansant, dans la lignée de ce que Mark propose depuis "Industrial Disease" et l'EP Twisting by the Pool mais en plus efficace et avec dix fois plus de succès. Ceci grâce notamment à un lick d'orgue de quatre notes (tonique, seconde, tierce et quinte de la gamme de mi majeur), très influencé par la musique cajun et qui vient se placer aux côtés des "Sweet Dreams", "Final Countdown" et "Born in the USA" en matière de phrasés de claviers de l'époque dont la simplicité est proportionnelle à la célébrité. Côté textes, les références aux "oldies" du blues, rhythm'n'blues et rock'n'roll ne manquent pas, les amateurs sauront les reconnaître. Knopfler joue d'ailleurs au crooner sur les refrains. Il est amusant de savoir qu'à la base, "Walk of Life" ne fait partie de l'album que sur l'insistance du producteur Neil Dorfsman, et le clip basé sur des images du bêtisier sportif sera lui aussi cocasse. Pour en finir avec les musiques noires et dans un souci de rupture, nous trouvons aussitôt après la ballade jazzy "Your Latest Trick", très différente de la chanson précédente. Omar Hakim se fait valoir dans ce style qui lui est familier, mais c'est aussi le cas des frères Brecker, dont l'empreinte inimitable se retrouve dans des moments distincts : l'intro instrumentale brumeuse pour Randy à la trompette, et la chanson pour Michael au saxophone ténor, le genre qui en l'occurrence refuse le growl et s'adapte superbement au ton doucereux de l'ensemble, même si l'ambiance est sombre. Et pour en finir avec cette première partie, comment ne pas parler de "Money for Nothing", dont l'idée de base est le fameux "I want my MTV" chanté par Sting dans les choeurs, ce qui n'est qu'un juste retour des choses quand on sait que cette petite mélodie ouvrait la chanson "Don't Stand So Close to Me" lors des concerts de The Police en 1983. Pour le reste, outre l'intro orageuse avec batterie explosive et synthés anarchiques, "Money for Nothing" possède ce qui reste l'un des trois riffs de guitare les plus célèbres de son auteur et une efficacité redoutable, eu égard aussi bien de la mélodie que de chaque partie vocale et instrumentale, avec là encore une mention spéciale aux claviers, précisément l'effet hargneux et torride signé Guy Fletcher sur les couplets. La chanson a beau être critique envers MTV, le clip fera les beaux jours de la chaîne musicale grâce à un clip très inventif, entre réalité et montage pour le moins hypnotisant.





La deuxième face est nettement moins populaire car elle contient moins de tubes, mais demeure toute aussi propice à un propos élaboré, et même engagée pour le coup. En effet, le filigrane n'est pas de rigueur pour ces chansons révélant des préoccupations d'ordre social ("One World") et politiques comme sur les trois autres. La guerre est d'ailleurs (straits, ok j'arrête) au centre de l'attention. "Ride Across the River" tient lieu et place dans une jungle avec une ambiance façon Le Pont de la Rivière Kwaï. Les soldats marchent dans la boue, sous la pluie, une situation musicalement illustrée par des percussions tranchantes sur un reggae nonchalant, tandis que le synthé de Guy Fletcher emploie une flûte pré-enregistrée de son Synclavier, la même que d'autres reprendront fréquemment pour des effets asiatisants (Peter Gabriel compris avec son "Sledgehammer"). Comme sur la fin de "Why Worry ?", le discours s'attarde mais est ici justifié par une guitare plus présente et parfois des changements d'accords étonnants (vers la fin). "The Man's too Strong" est un morceau folk acoustique au début soft, avant que n'apparaisse une guitare slide bluesy puis que le tonnerre gronde de nouveau sur les refrains par le biais de la paire synthés-rythmique superposée. "One World" est le seul titre réellement dynamique de cette seconde partie en termes de pulsation, avec des accents funky inédits. Quant à "Brothers in Arms", c'est avec "So Far Away", "Why Worry ?" et "The Man's Too Strong" l'un des quatre morceaux les plus oniriques du disque, bien qu'ils soient tous très différents. Mark Knopfler murmure plus qu'il ne chante, le ton est hyper-sensible et fragile, et la rythmique s'efface pour laisser place à un travail conséquent autour des claviers avec même un soupçon d'accordéon (à moins que ce ne soit un harmonium), Alan Clark reprenant un peu ses droits sur les synthés grâce à une montée d'orgue Hammond terriblement émouvante sur le final. Sans oublier bien sûr à ce sujet le solo de guitare, qui fait aussi partie du podium des plus grandes réussites knopfleriennes, et même si un trio ne suffit en réalité pas à placer aussi "Sultans of Swing", "Where Do You Think You're Going ?", "Tunnel of Love", "Telegraph Road", "You and Your Friend"... Le clip de "Brothers in Arms" (la chanson), presque entièrement réalisé au fusain, vaut lui aussi le détour.

Un mot sur la production, car en dehors du côté "ni sex, ni drugs", Dire Straits est réputé pour un son aussi riche que propre. Cela a toujours été le cas, mais Brothers in Arms, encore un album qui a nécessité des techniques particulières d'enregistrement (dans un tout petit studio qui s'y prêtait bien) est aussi remarquable pour sa dynamique. Le choix de faire sonner certaines parties en pianissimo (niveau sonore plutôt faible) et d'autres en fortissimo (assez fort donc), parfois en enchaînant les deux sans transition sur une nuance intermédiaire, ainsi que la répartition des éléments sur les panoramiques (enceinte droite ou gauche), tout cela vaut à ce disque de figurer comme un exemple optimal de démonstration lorsque l'on teste du matériel hi-fi, du moins à l'époque, et Philips saura elle aussi exploiter le filon. En bref un travail considérable et étonnant, une référence.

Un mot encore sur les musiciens, car pour les invités, ils doivent se contenter de voir leur nom mentionné dans le livret, sans indication de piste, donc il est difficile de savoir qui fait quoi. Comme on le sait, Mark Knopfler apparaît comme le leader, et il ne faut pas trop chercher midi à quatorze heures pour savoir ce qu'il fait. Aux guitares rythmiques, il est secondé par Jack Sonni, un ami de longue date qui participera à la tournée de l'album. John Illsley quant à lui, au jeu à la fois si efficace et sous-estimé, se voit doublé pour la première fois, et par pas moins de deux musiciens différents. En effet, on croise Neil Jason, un musicien newyorkais réputé et dont, avec l'absence de crédits précis, on ne peut que supposer la présence sur telle ou telle chanson : peut-être "Why Worry ?" mais aussi "Your Latest Trick", car c'est un partenaire récurrent des frères Brecker. Il y a aussi l'excellent Tony Levin, membre de King Crimson et accompagnateur le plus fidèle de Peter Gabriel depuis ses débuts en solo. Un maître du Chapman Stick, et dont on reconnaît l'empreinte forte sur "One World" (emploi du slap), si ce n'est pas lui-même qui figure également sur "Why Worry ?". Côté claviers, il est de notoriété publique que Guy Fletcher s'occupe de la branche synthés et programmations, Alan Clark se cantonnant aux lignes de piano et d'orgue. Cependant, Fletcher n'étant pas coutumier des parties solistes, on aurait de la difficulté à imaginer quelqu'un d'autre que Clark sur l'intro de "Money for Nothing". Une interview récente de ce dernier lui permet d'être légèrement critique envers son ancien comparse, disant qu'au moment de son entrée dans Dire Straits, le jeune Guy ne savait pas réellement jouer et que sa présence au sein du groupe s'explique surtout par son amitié avec Knopfler ! À croire que le nom de Fletcher est propice à la controverse, que l'on s'appelle Dire Straits ou Depeche Mode ! Nous avons donc parlé des batteurs, mais à leurs côtés on trouve deux percussionnistes : Mike Mainieri au vibraphone, logiquement sur "Your Latest Trick", ainsi que Jimmy Maelen, musicien américain que l'on peut principalement entendre sur "Ride Across the River", titre le plus orienté "world" de l'ensemble. Parmi les soufflants, les frères Brecker sont aisément reconnaissables sur "Your Latest Trick", mais les deux autres cuivres crédités, Malcolm Duncan (saxophone ténor) et Dave Plews (trompette), figurent eux sur "Ride Across the River". Et Sting donc pour finir, sur "Money for Nothing".




 

Autour de l'album :

Comme d'habitude avec Dire Straits, si faces B pour cet album il y a, on ne les connait pas. Néanmoins, la tournée de l'album, considérée comme épuisante (350 concerts sur moins de deux ans) est l'occasion de muscler le ton pour la plupart des chansons, notamment "Walk of Life", "So Far Away" et surtout "Money for Nothing" dont la version proposée reste la plus déjantée à ce jour. Les tubes sont donc en tête de liste sur toutes les dates, et les autres morceaux sont logiquement joués de manière plus occasionnelle, mention spéciale à "One World" qui n'est parait-il jouée qu'une fois, le bootleg correspondant à cette date étant presque devenu culte pour cette seule raison. Mais ces autres versions valent le détour, notamment "Why Worry ?" sublimée avec les choeurs des musiciens, et "The Man's Too Strong", plus rock, voyant son aspect féérique décuplé.


Par Ma'c

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